Des gravats, de la poussière, pas de larmes 

[Attention, article un peu lourd pour le moral]

Le chemin vers Adiyaman est facile : des petites routes, peu de circulation et une invitation à boire le thé. Nous nous arrêtons chez Leila et Mehmet, ce dernier nous ayant alpagués avec enthousiasme quand nous passions devant leur maison. Un thé se transforme en quatre thés et un deuxième petit-déjeuner. Ici, la communication se fait avec les mains, les mimes et les sourires.

En repartant, nous remarquons de nombreuses tentes d’urgence bleues de Chine, de l’AFAD et du Croissant rouge turc. Elles sont apparemment utilisées comme logements et abris. Puis nous voyons à l’horizon, sur une crête, une trentaine de grues et, entre elles, des tours de béton en construction.

Nous entrons dans Adiyaman et c’est là que tout bascule. Adiyaman était l’un des épicentres des tremblements de terre de février 2023 ! Rien que dans cette ville, plus de 8 000 personnes sont mortes. C’est de plus en plus palpable à chaque kilomètre. Le centre-ville est très poussiéreux, dû aux chantiers de démolition et nettoyage. On observe de grands espaces vides entre les immeubles, et de nombreuses tours abîmées et inoccupées, où tout ce qui est récupérable (montant de fenêtres, etc.) a été démonté. On voit de grandes fissures dans les façades, des balcons cassés, des murs latéraux ouverts… Nous sommes abasourdis.

Notre hôte est Ismail. Il a la quarantaine et nous accueille dans son appartement au 8ème étage de la tour (restée debout). Il est très contents de nous accueillir comme invités : « it’s good for me » nous dit-il. La table, ou plutôt la nappe au sol est richement dressée avec un bon repas. 

Et en fait, il ne faut pas longtemps avant d’aborder le sujet du désastre du tremblement de terre : « Où étais-tu ? Comment va ta famille ? Veux-tu en parler ? ». Il a eu la chance d’avoir dormi dans la ferme familiale ce week-end-là, et que son immeuble ait résisté au séisme. Mais il nous explique aussi que lui et la plupart des gens ici ont perdu en moyenne 10 personnes, membres de leur famille et/ou amis. Dix ! Nous sommes atterrés…

Ismail nous conduit chez des ami-es qui veulent faire notre connaissance. Nous nous dirigeons chez Pinar, qui vit dans l’un des nombreux grands quartiers de conteneurs. Nous avons passé la soirée à avoir une conversation agréable sur les voyages, l’Europe, Erdogan, l’oppression des minorités, les religions, l’athéisme, la culture, la musique et le Kurdistan. Et à un moment donné, nous revenons à la catastrophe. L’amie d’Ismail qui nous accueille s’est retrouvée dans une tour effondrée et a miraculeusement réussi à se libérer seule des décombres. L’autre ami nous montre une vidéo d’une soirée avec des amis musiciens où ils jouaient de la musique ensemble, deux jours avant le tremblement de terre. Ils étaient juste en visite et ne vivaient même pas en ville. Ils ont été tués. À ce moment de l’histoire, nous nous taisons tous, avons les larmes aux yeux et réfléchissons brièvement. Respirer. L’ami explique que le choc est toujours plus fort que la tristesse : lorsqu’il était jeune, il pleurait sur les animaux décédés, mais il ne peut plus pleurer depuis le tremblement de terre.

C’est difficile. Mais à ce moment-là, nous sommes en quelque sorte heureux d’être ensemble et d’entendre parler de ces vécus. Tous les trois sont heureux que nous soyons venus à Adiyaman et nous intéressions aux gens d’ici et à leurs réalités.

Le lendemain, nous devons traverser la ville pour atteindre la gare routière. Les pelles à air comprimé et les camions sont en mouvement dans de nombreux endroits. Des gens continuent de ramasser des fils métalliques dans les décombres. Pendant le trajet en bus, nous voyons de vastes zones de décombres entassés au loin dans la campagne.

En passant par Kahramanmaras, qui a été tout aussi durement touchée, nous ne voyons sur au moins deux kilomètres que des immeubles de grande hauteur vides et éventrés, attendant d’être démolis.

C’est notre dernière expérience de l’Est de la Turquie. Prochain arrêt, dix heures plus tard : Kayseri.

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